L'OBLIGATION D'AGIR DE BONNE FOI

Présentation

Le locataire et le locateur ont l’obligation dans le cadre du contrat de bail de logement d’agir de bonne foi[1]. Ce principe peu connu du grand public a un effet important soit celui d’imposer un cadre normatif aux parties dans leur relation entre elles.

Ceci a l’avantage d’établir un certain ordre dans les relations entre locateur et locataire et les locataires entre eux. La loi du plus fort cède le pas à une régulation des comportements et agissements par une série de normes acceptées par une société civilisée[2].

Par conséquent, une partie ne peut agir comme elle l’entend puisqu’elle bénéficie de tel ou tel avantage, elle doit moduler ses agissements et comportements pour respecter ce cadre normatif[3]. Au surplus, elle doit agir de façon à favoriser les intérêts de son cocontractant, ce qui oblige les parties à collaborer[4].

Dans cet article, nous proposons d’aborder et de faire une courte analyse du principe de la bonne foi dans le cadre du bail résidentiel et plus particulièrement la bonne foi comme motif pour obtenir la résiliation du bail de logement.

Tout d’abord, notons que la bonne foi a une assise dans le droit positif québécois puisque on peut la retrouver aux articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec (« ci-après : C.c.Q. »).

Il faut comprendre que ce principe a une portée large, puisque tous doivent exercer leurs droits selon les « exigences » de la bonne foi[5], nul ne peut exercer ses droits dans le « but de nuire à autrui » ou « d’une manière excessive et déraisonnable »[6] et finalement la bonne foi doit exister tant au « moment de la naissance de l’obligation », que de son « exécution » ou « extinction »[7].

En d’autres mots, la bonne foi est une « métanorme » puisqu’elle s’impose à toutes les autres normes relatives au bail de logement (soit les articles 1854 C.c.Q à 2000 C.c.Q.) et à leur exercice. Également, elle s’impose malgré toute stipulation contraire des parties[8]. C’est-à-dire qu’une clause contractuelle libérant son cocontractant d’agir de bonne foi serait invalide. Cette invalidité vaudrait autant pour « la formation » que « l’exécution » ou « l’extinction du contrat »[9].

L’obligation d’agir à l’intérieur des limites de la bonne foi

Il existe deux types de bonne foi, soit la subjective et l’objective.

La démonstration du non-respect de la bonne foi subjective impose que soit prouvé plus qu’un geste ou un comportement répréhensible, l’auteur doit avoir agi en sachant qu’il agit de façon « illégale ou illégitime »[10]. Le lecteur doit comprendre qu’ici le fardeau de prouver cet état d’esprit est particulièrement élevé surtout que l’article 2805 C.c.Q. prévoit une présomption de bonne foi.

Quant à la bonne foi objective elle impose aux parties le respect de la norme du comportement acceptable dans une société[11]. La norme tire sa source de la « morale », du « bon sens », du « raisonnable »[12]. Donc, tant le locateur que le locataire sont soumis à des règles qui peuvent être non écrites.

Ici l’état d’esprit n’est pas une composante du fardeau de preuve puisqu’il s’agit de démontrer que l’auteur de l’acte ou du comportement a agi en violant « des normes de comportement objectives et généralement admises dans la société »[13]. Par conséquent, celui qui agit de « façon téméraire ou sans se soucier des intérêts de son cocontractant » pourrait être sanctionné[14].

La bonne foi, la résiliation du bail de logement et le Tribunal administratif du logement

Il est bien établi qu’un bail peut être résilié si une partie manque à ses obligations d’agir de bonne foi. Toutefois, comme dans bien d’autres domaines du droit, il y a plusieurs courants de pensée sur l’importance de ce manquement.

Certaines juges exigent que l’inconduite soit extrême[15], d’autres exigent à tout le moins que le manquement soit très sérieux[16]. Toutefois le manquement n’a pas à être d’ordre criminel[17].

Voici une liste non limitative de cas où le manquement fut jugé assez important pour emporter la résiliation du bail de logement :

  • Propos et gestes agressifs qui ont causés du stress au locateur[18];
  • Des communications incessantes, et demandes répétées et rapprochées dans le temps[19];
  • Un comportement indésirable, dangereux et irrespectueux qui outrepasse les limites de la tolérance[20];
  • Un manque de collaboration qui se caractérise par l’envoi de nombreuses mises en demeure[21];
  • Locataire qui impose ses diktats et qui insulte et injure le locateur dans ses écrits[22];
  • Locataire qui refuse l’accès à son logement, ne collabore pas et affiche dans les espaces communs de l’immeuble des écrits où il traite le locateur de « mafieux » et/ou de « crapuleux »[23];
  • Locataire qui impose ses exigences au locateur quant aux travaux à faire dans l’appartement et qui fait appel aux forces policières, et ce, avant même son entrée au logement[24];
  • Locataire qui fait obstacle à la vente de la propriété[25];
  • Le locataire qui ne fait rien pour minimiser « l’impact des bruits faits par ses enfants »[26].

Conclusion

Comme le contrat est basé sur le lien de confiance liant des cocontractants et puisque le contrat de bail oblige le locateur et les locataires à avoir des interactions (paiement du loyer, réparations, entretien etc.), il est essentiel d’avoir un cadre normatif imposant les règles qui ont déjà cours dans une société civilisée.

En d’autres mots, le locateur comme le locataire doivent se comporter envers leur cocontractant tel un partenaire. Bien que les parties n’aient pas à être amies, elles doivent à tout le moins se respecter et agir en ce sens.

De nos jours, un nombre important de locataires voient le locateur comme un exploitant, une personne à abattre, un « ennemi de classe ». Or le locateur doit comprendre qu’avec les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. il n’est pas sans recours.

Au contraire, il appert de la jurisprudence que le non-respect de l’obligation d’agir de bonne foi peut être sanctionné sévèrement par le Tribunal administratif du logement.

Nous espérons que cette sanction, ou la menace d’une telle sanction, devrait à elle seule obliger les parties à faire plus d’efforts pour tenter de trouver un terrain d’entente et/ou de favoriser le dialogue et de délaisser les décisions unilatérales, les coups de têtes et coups de gueules.

TRISTAN OLIVIER, avocat

 

 

[1] Houle c. Banque Canadienne Nationale, 1990 CanLII 58 (CSC), [1990] 3 RCS 122; Palmer c. Leblanc, 436435, (28 novembre 2019), décision non rapportée, par. 72; Di Genova c. Erolph, 2017 QCRDL 29208, par. 30; Duguay c. Pelletier, 2015 QCCQ 12574, par. 72

[2] Municipalité de Sainte-Sophie c. Sauvetage Médical, 2018 QCCA 119, page 11

[3] Larochelle c. Buisson, 2023 QCTAL 28432, par. 30; dans cette décision le juge Serge Adam se réfère à la décision Capital Augusta Inc. c. Charles (R.D.L., 2009-02-23), SOQUIJ AZ-51430566 rendue mais suite à une analyse de l’article 976 C.c.Q.

[4] Boulais c. Ndao, 2021 QCTAL 5625, par.32

[5] Selon les termes de l’article 6 du C.c.Q.

[6] Selon les termes de l’article 7 du C.c.Q.

[7] Selon les termes de l’article 1375 C.c.Q.

[8] Trust la Laurentienne du Canada Inc. c. Losier, 2001 CanLII 12759 (QC CA), par. 40

[9] Ibid, par. 40.

[10] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, Les obligations, 6e édition, Les Éditions Yvon Blais, 2005, no 98.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] Municipalité de Sainte-Sophie c. Sauvetage Médical, 2018 QCCA 119, par. 10.

[15] Di Genova c. Erolph, préc. note 1, par. 30; Turcotte c. Chaussé, 2013 QCRDL 11984, par. 108.

[16] Palmer c. Leblanc, préc. note 1, par. 75.

[17] Guérin c. Bienvenue 2020 QCRDL 11959, par.  19; décision rendue dans le cadre de l’article 1860 C.c.Q. dont les principes peuvent s’appliquer en l’espèce.

[18] Chaltchi c. Mallay, 2010 QCRDL 31024, par. 130 et 140.

[19] DeWolfe Shaw c. Berger, 2013 QCRDL 3389, par. 497.

[20] Larochelle c. Buisson, préc. note 3, par. 33

[21] Boudreault c lavallée, 2022 QCTAL 10304, par. 49

[22] Eid c. Martineau, 2023 QCTAL 14399, par. 40 et 46.

[23] Amari c. Gestion Gaudan Inc., 2016 CanLII 123326 (QC TAL), par. 21, 22, 30; permission d’appel rejetée voir Amari c. Gestion Gaudan inc., 2017 QCCQ 2022

[24] Zephirin c. Fanidi, 2019 QCRDL 10809, par. 49 et 50

[25] Palombi Vescio c. Ben Ayad, 2018 QCRDL 12542, par. 16

[26] Boulais c. Ndao, préc. note 4, par.32

LA FIN D’UN CAUCHEMAR POUR UNE LOCATRICE

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